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pierre-andré bizien

30 juin 2006

l'ascétisme des moines au Moyen Âge

I- L’ascèse monastique mérovingienne, essence et origine plurielle du cénobitisme gaulois.

De par sa position géographique, située au carrefour du monde celtique et des pays méditerranéens, la Gaule mérovingienne constitue le point de rencontre d’une multitude de règles normatives et de courants ascétiques. La synthèse de ces influences spirituelles se condense progressivement sous la forme de quelques règles cénobitiques dont la première à s’imposer nettement sur une partie du territoire est celle de Colomban au VIIe siècle1. Spirituellement limitée, l’essence ascétique du monachisme colombanien privilégie le corps comme réceptacle des stratégies punitives. La règle bénédictine se superpose dans un premier temps à la législation colombanienne puis s’impose officiellement dès l’époque carolingienne comme l’unique législation normative dispensée au sein des monastères gaulois. Outre ces deux règles, une multitude de traditions monastiques s’inspirent d’autres courants comme celui de Cassien et du monachisme provençal, comme celui de Césaire d’Arles avant tout pour les moniales ou encore comme celui de Martin qui repose sur un ascétisme oral de nature charismatique. L’unité spirituelle gauloise semble donc fictive, du moins jusqu’au IX e siècle. Aucune règle n’est suivie dans son intégralité, les coutumes monastiques compilent, mélangent et interprètent plusieurs normes. Le résultat toujours unique de ces mélange constitue le seul vrai type de règle suivi en Gaule: la regula mixta. Cependant, une prédominance bénédictine s’impose officieusement dès avant l’arrivée des Pippinides au pouvoir, promouvant un ascétisme de nature très spirituelle et une pédagogie comportementale s’appuyant sur une certaine finesse psychologique2.

Genèse du monachisme gaulois.

Importé d’Orient ou s’illustrent dans le désert des anachorètes aux pratiques ascétiques particulièrement rudes et dont le moine Égyptien Antoine est le plus emblématique1 , le phénomène monastique atteint la Gaule romaine dès le IIIe siècle sous sa forme la plus désordonnée, l’érémitisme2. Ce premier monachisme n’est encore au début du Ve siècle qu’un mode de vie: ascétisme, solitude, macérations diverses d‘ordre physique et spirituel. Il ne se démarque pas encore nettement de l’existence érémitique. Le bâtiment monastique n’est qu’un abri précaire, regroupement de cabanes en bois, d’excavations naturelles ou de huttes. Les fondations se font alors dans la plus grande anarchie, ne subissant aucun contrôle, par décision individuelle sans autorisation hiérarchique. Après un démarrage lent, l’expansion du monachisme en Gaule connaît une accélération jusqu’en 475-5003 suivie d’une explosion aux VI e et VIIe siècles. Cette courte période, la fin du Ve siècle, voit la nature profonde de la vie monastique se modifier, passant alors d’un premier monachisme charismatique4 aux prémices d’un nouveau monachisme, régulier.5 Ainsi pouvons-nous affirmer que le Ve siècle constitue une période de transition6 déterminante. Les deux premières traditions monastiques gauloises proviennent de deux régions différentes: le monachisme Martinien s’ancre autour de la Loire, et le monachisme Lérinien est d’origine méridionale.

-Le monachisme Martinien.

C’est en 361 que saint Martin de Tours fonde le premier monastère gaulois à Ligugé près de Poitiers7. A l’origine, une communauté d’anachorètes se regroupent autour de Martin dans des cavités rocheuses. En 375, après avoir été élu évêque (371), il crée un second monastère, Marmoutier (maius monasterium)1.

Son ascèse est centrée sur la pauvreté, l’austérité et la prière. Il impose à ses disciples la communauté des biens, le repas commun, mais dispense du travail manuel comme ascèse, si l’on excepte les plus jeunes disciples qui s’adonnent à la copie de manuscrits.

Martin couche à même la cendre sur une banquette de pierre dans une grotte.

Les monastères dont la discipline est affiliée à st Martin sont réglés non pas sur une règle écrite, mais avant tout sur le charisme et l’exemple ascétique de Martin. Ainsi, comme à Marmoutier, il n’y est pas question de travail manuel. Cette interdiction du travail manuel au profit de l’activité de prière se rattache au phénomène carolingien d’abandon progressif du travail manuel au profit de l’activité spirituelle et liturgique. Dans cette perspective, nous pourrions avancer que l’ascèse s’incarnant dans le travail manuel constitue une longue parenthèse entre le premier monachisme gaulois et le cénobitisme carolingien.

Les monastères qui se rattachent à la tradition Martinienne sont localisés principalement au nord du Regnum Francorum, dans les régions septentrionales de la Gaule, plus dépourvues de règles fixes et strictes qu’en Gaule méridionale. D’autre part, le monachisme Martinien incarne une certaine hésitation entre vie individuelle et vie collective qui triomphe réellement avec l‘influence bénédictine. Il semble que la frontière entre l‘érémitisme et le cénobitisme soit, du moins jusqu‘au VIIe siècle, largement théorique. En effet, il apparaît clairement, à l’exemple de Marmoutier, que dès ses origines le monachisme gaulois conjugue la solitude individuelle à la solitude collective. Réunis pour la prière et pour les repas, les moines retrouvent quotidiennement dans les cavernes qu’ils se sont creusées l’isolement qu’ils y sont venus chercher. Ils s’écartent du monde plutôt qu’ils ne s’en éloignent: la vie monastique n’est qu’une retraite intermittente plus ou moins fréquemment arrachée à leurs obligations séculières2. Leur existence se développe sur un double plan comme celle de Saint Martin lui-même, à la fois évêque et moine.

S’il est possible qu’un monachisme soit né en Gaule avant saint Martin, et malgré le caractère spéculatif de ce postulat, nous pouvons avancer qu’il revêt une forme érémitique et anarchique. L’implantation la plus ancienne de ce monachisme hypothétique serait l’Auvergne1. ((Ivan Gobry, de st Martin à st Benoît, Fayard, Paris, 1985)).

-Le monachisme méridional:

Honorat, un jeune ascète issu de l’aristocratie Gallo-romaine et désireux d’imiter les premiers anachorètes orientaux, trouve comme désert une île dans la baie de Cannes, Lérins. Il y fonde une institution cénobitique vers 4102 . Très rapidement, ce lieu devient le centre monastique le plus influent au Ve siècle. L’ascèse qui y est préconisée est de type oriental et subit l’influence dominante des pères Égyptiens et Syriens comme Pacôme et Basile.

Cassien, moine de Lérins revenant d’Orient, veut réformer la « torpeur gauloise »3 par la discipline égyptienne.

Il y rapporte une conception ascétique austère dont il synthétise les valeurs dans ses conférences. Il prend exemple sur les textes monastiques orientaux qui, avant tout, font de l’impassibilité une vertu fondamentale de l’ascète. La vie de saint Antoine, qui passe pour le modèle de toutes les hagiographies de moines, en a fixé les traits4. Ce monachisme provençal, implanté sur un territoire initialement christianisé5 , remonte progressivement vers le Nord de la Gaule par le biais de réseaux monastiques.

Les effectifs monastiques gaulois.

Il est difficile d’évaluer le nombre des moines aux premiers siècles du cénobitisme gaulois.

Bien que toute enquête chiffrée sur le monachisme soit vouée à l’imprécision,1 il nous est cependant possible d’obtenir des ordres de grandeur. On peut déceler, au-delà des exemples individuels que nous fournissent les hagiographies, un phénomène social se caractérisant par une véritable « épidémie de vocations »2. On assiste à une augmentation très lente du nombre des monastères jusque vers l’an 400, puis sensiblement plus rapide durant le premier quart du Ve siècle. La même allure, constamment ascendante se poursuit durant la période qui va de 425 à 475. Puis à partir de 475, le nombre de monastères s’accroît encore plus sensiblement.

Dès le VI e siècle la densité monastique est importante dans la région de Tours, là ou s’étend encore le rayonnement charismatique du monachisme Martinien. Sainte-Croix à Poitiers compte à la mort de Radegonde (587) environ 200 moniales3. Les communautés groupant une centaine de religieux ne sont pas rares. A Marmoutier, il y a environ 80 frères à l’époque de St Martin4 . Le monastère de Lanconne en compte 150 à la fin du Ve siècle5 La Baume6 groupe 105 moniales7, et le monastère jurassien de Leunianus en compte 608 . Nous pouvons identifier environ 200 monastères en Gaule à la fin du VI e siècle9. C’est peut-être la moitié voir le tiers des centres cénobitiques alors existants qui nous sont aujourd’hui connus10.

En 830, le monastère de st Germain des Prés compte 120 membres et celui de Saint Denis en compte 150.

En 850, le monastère féminin de Notre Dame de Soissons compte 216 moniales. 130 hommes travaillent à leur service11.

-Effectifs des établissements monastiques.

Concernant les effectifs des établissements monastiques, environ 220 monastères sont fondés en Gaule jusqu‘à la fin du VIe siècle. Au VIIe siècle, on peut en ajouter 3201, beaucoup de monastères du VI e et VIIe siècle sont urbains, comme le monastère Ste Marie de Radegonde à Poitiers. On en compte 80 à 90 dans le Nord de la Gaule, 70 à 80 dans le sud.

Les abbayes féminines jouent un rôle énorme dans le grand mouvement de fondations monastiques de la basse vallée de la Seine à l’époque mérovingienne. Vers la fin du VIIe siècle, leur nombre est à peu près égal à celui des abbayes masculines. Cependant nos connaissances à leur propos sont limitées du fait des destructions corrélatives aux raids Vikings du IXe siècle2.

Composition sociale des monastères gaulois:

Originairement issus de souche aristocratique, les moines Gaulois proviennent de toutes les couches sociales à partir de l’émergence du phénomène de monachisme de masse qui se développe dès la fin du Ve siècle. Ce qui engendre, comme nous allons le voir, un certain nombre de problèmes d’ordre disciplinaire.

Il a toujours existé de mauvais moines, et leur trace est relatée jusque dans les hagiographies3 . Il faut mettre à part ceux qui deviennent moines plus ou moins malgré eux: les oblats dont l’existence en Gaule est attestée dès la fin du IV e siècle4: Césaire d’Arles admet dans son monastère des enfants de 7ans. Il faut aussi mentionner les relégués que les caprices de la politique conduit provisoirement ou définitivement vers le monastère et dont le nombre augmente sensiblement au cours du VI e siècle5. Cette relégation est aussi une peine ecclésiastique1.

Selon un résumé schématique, nous pourrions constater que le statut social des fondateurs de monastères évolue au cours du haut Moyen Âge en Gaule. Si jusqu’au VI e siècle les fondations sont imputables à des moines qui pérégrinent2, à partir des règnes des fils de Clovis les souverains et les aristocrates prennent le relais, obéissant à des stratégies politiques3, des stratégies économiques, étant donné qu’au haut Moyen Âge, la richesse provient du capital foncier. Dans cette perspective, Les fondations monastiques constituent une stratégie de contrôle et de captation de l’espace, principale source économique4.

Mais ils obéissent aussi à des stratégies de salut5 .

La division politique de la Gaule mérovingienne favorise la diversité des normes ascétiques suivies au sein des monastères6. Ainsi, jusqu‘au VII e siècle, il est possible d’avancer qu’il existe autant de règles que de monastères.

Malgré ce constat de diversité, certains éléments du monachisme gaulois comprennent une dimension générique:

tous les moines gaulois sont édifiés par des lectures saintes mettant en scène des personnages bibliques, des saints et avant tout le Christ, premier modèle à imiter. Ces lectures, déclamées à divers moments de la journée, encouragent les comportements mimétiques7 .

Il existe sept grandes ascèses de base d’origine biblique:

-l’aumône8

-le jeûne

-la prière1

-le travail2

-la lecture de l’Écriture

-l’abstinence (continence) d’où dérive la chasteté

-l’ascèse la plus radicale: le martyre3

Le chrétien parfait, c’est le martyre4

Il convient de se pencher sur la plus emblématique de ces ascèses, le jeûne.

Le jeûne:

Le jeûne est le premier des exercices de mortification corporelle.

On distingue toute une gamme de jeûnes divers pratiqués par les moines mérovingiens. Les moines carolingiens observent un jeûne plus monolithique et relativement souple, inspiré par la tradition bénédictine.

On distingue:

- la monophagie, ou le fait de se nourrir une seule fois par jour.

-la xénophagie,5 c’est-à-dire le fait de ne se nourrir qu’au pain et à l’eau.6

La monophagie est donc une ascèse concernant la quantité de nourriture, tandis que la xénophagie est une ascèse concernant la qualité de la nourriture. Nous en déduisons donc que les moines mérovingiens sont astreints à deux types de jeûne: le jeûne quantitatif et le jeûne qualitatif.

Pour Cassien, le jeûne revêt un sens spirituel et non littéral. Il implique la priorité du jeûne de l’âme sur celui du corps, soit l’abstinence du péché plutôt que la restriction alimentaire.

Bien que le message évangélique ne fasse aucune distinction entre les aliments et qu’il impose, au contraire, de les accepter tous comme un don de la Providence, le renoncement à la viande est quasi-unanime au sein du monachisme gaulois. Il faut y risquer une explication anthropologique: pour la société gauloise chrétienne, la viande comporte une tonalité charnelle, donc sexuelle et ainsi assimilée au mal1.

Si les ermites gaulois se nourrissent de plantes sauvages par prédilection2, l’alimentation cénobitique gauloise est elle aussi avant tout végétarienne, même si les sources hagiographiques mérovingiennes et carolingiennes sont « pleines de moines carnivores »3 . Obsédée par son refus de la viande, la culture monastique est obligée de trouver des aliments de substitution. Ainsi finit-elle par élaborer des stratégies diététiques et gastronomiques très sophistiquées revenant à contourner l’esprit d’ascèse originel qui proscrit la viande.

Les règles monastiques, y compris la règle bénédictine, interdisent la consommation de viande. Ainsi:

« Quant à la viande des quadrupèdes, tous s’abstiendront absolument d’en manger, sauf les malades très affaiblis »4.

De même, « On ne mangera jamais de viande »5.

L’examen macroscopique des dentures d’une partie de la communauté monastique de Landévennec6 révèle une absence presque constante de caries sur les incisives7 . Cette absence 8, que l’on peut se risquer à étendre à la majorité des communautés monastiques du Regnum Francorum résulte des conditions chroniques du jeûne. En effet, la principale source de sucre au haut Moyen Âge étant le miel9 , les moines semblent en avoir été épargnés du fait de leur alimentation à base de légumes, de pain et de soupes.

L’ascétisme préconisé par la règle bénédictine en matière de nourriture est relativement doux: « Nous croyons qu’il suffit à toutes les tables pour le repas quotidien, qui ait lieu à sexte ou à none, de deux plats cuits, (…) et s’il y a moyen d’avoir des fruits ou des légumes tendres, on ajoutera un troisième. Une livre de pain bien pesée suffira pour la journée»1. Après la Pentecôte jusqu’aux Ides de septembre les moines vivant au sein de monastères bénédictins jeûnent deux jours par semaine, le mercredi et le vendredi en ne prenant plus qu’un seul repas à None. Ils s’accoutument ainsi au rythme de l’hiver2.

Dans les monastères bénédictins,durant le carême le jeûne se durcit et l’unique repas est servi après l’office de vêpres, après 18h.

Concernant le jeûne, Radegonde ne se nourrit que de racines et de plantes potagères sans huile et sans sel.3 Des jeûnes excessifs résultent plusieurs symptômes4, dont certains entravent paradoxalement l’exercice normal du reste des comportements ascétiques exigés5 .

En ce qui concerne l’eau, elle n’en boit pas même « deux setiers6 pendant tout le jeûne du carême »,  « Aussi souffrait-elle d’une telle soif que, dans l’aridité de sa gorge desséchée, ‘est à peine si elle pouvait lire un psaume »7 .Antoine jeûne parfois jusqu’à quatre jours de suite 8.

Aux marges du monachisme gaulois: l’érémitisme ou l’ascétisme sauvage

Comme il a été vu, à l’origine, alors que les seules règles écrites se trouvent en Orient, les seules formes de monachisme présentes en Gaule dérivent de l’érémitisme. Corrélatif à l’absence totale d’organisation structurante, il se répand de manière anarchique et n’obéit à aucune règle précise. C’est pour cette raison principale qu’il prête le flanc aux interprétations les plus radicales de la philosophie des évangiles.

-Lieux d’érémitisme.

Pratiquant leur mode de vie ascétique au sein d’un climat tempéré, les ermites gaulois adaptent à leur environnement la notion de désert1 en se retirant au sein de forêts, de grottes ou de zones marécageuses inhospitalières qui leur donnent un équivalent ascétique aux zones arides des ermites orientaux. La Gaule septentrionale, couverte de forêts et de terrains marécageux 2, offre aux ermites des espaces particulièrement propices à ces attentes3.

-Typologie des ermites gaulois:

Il existe de nombreux types de reclus qui, en Gaule comme ailleurs, s‘inspirent de leurs précurseurs orientaux4.

Certains anachorètes s’isolent dans des cages ou restent perchés sur des arbres. Certains restent debout en équilibre sur une jambe en plein soleil ou reposent couchés sur des fourmilières. Tous jeûnent. C’est en effet le jeûne qui constitue l’ascèse fondamentale et la plus commune à tous les moines Gaulois. C’est le trait d’union ascétique, avec la prière, entre ermites et cénobites.

Parmi toutes ces sortes d‘ermites, on peut distinguer:

-Les ermites hésychastes, qui sont des ermites s’imposant un silence absolu et perpétuel en s’interdisant toute communication verbale avec qui que ce soit.

-Les ermites subdivales, qui s’enferment dans une cabane sans toiture, subissant les caprices du temps au rythme des saisons.

-Les ermites stationnaires, qui se posent un jour entier n’importe ou, debout, immobiles sans s’accroupir ni se coucher la nuit.

-Les ermites stylites, qui reposent des années au sommet d’une colonne dans la nature. Il convient cependant de préciser que la Gaule n’en connaît qu’un seul. Il s’agit d’un Lombard, Wulfilaic, qui au cours du VI e siècle s’installe des années sur une colonne d’un ancien temple de Diane dans la région des Ardennes à Carignan1.

-Enfin, l’infinie majorité des ermites qui, reclus au fond de grottes, de forêts ou de bois marécageux, s’adonnent à la contemplation et aux prières selon des modalités qu’ils s’imposent eux-mêmes sans qu‘il ne soit possible de les classifier sous formes génériques archétypales.

L’ascétisme extrême:

Les vitae nous fournissent d’innombrables exemples de pratiques ascétiques poussées jusqu’à l’extrême. Ainsi à Bourges, saint Amand passe quinze ans de réclusion au fond d’une cellule, vêtu d’un cilice, couvert de cendres et « broyé » par les jeûnes et la faim2.

Les pratiques de mortification corporelle utilisées au sein des monastères gaulois sont très variées. De nombreux instruments comme la discipline, le cilice, les ceintures de fer ou autres croix armées de pointes sont utilisés. C’est le fouet qui prédomine, surtout au sein des monastères provençaux 3. « qui aime son fils lui prodiguera le fouet »4 , « Si, pour une faute quelconque, quelqu’un doit recevoir la discipline du fouet, on ne dépassera jamais le nombre légal de coups, c’est-à-dire 39 »5 .

Cette conception de l’ascèse comme mortification corporelle conçoit le sang comme moyen d’accès à Dieu.

La coutume d’aller pieds nus, soit habituellement, soit pendant un temps prolongé ou dans des circonstances déterminées, est adoptée par de certains ascètes. Elle est souvent imposée comme acte de pénitence. Ce type d’ascèse, la gymnopédie, est une pratique relativement officieuse qui n’est pas systématisable à tout le monachisme gaulois. En effet, la Vita Radegundis nous rappelle qu’ « alors que toutes les moniales étaient encore endormies, Radegonde nettoyait et graissait les chaussures et les rapportait à chacune »1.

Si l’ascétisme monastique féminin semble plus modéré et moins corporel que celui des moines, il convient cependant de nuancer ce postulat. Certaines traces historiques, rares et sujettes à caution2 , attestent l’existence d’un ascétisme féminin très corporel et sanglant: une fois moniale, la reine Radegonde pratique toutes sortes d’ascèses dont certaines confinent à la mortification extrême3 . Ainsi, « Une fois, pendant le carême, elle attacha à son cou et à ses bras trois cercles de fer4 qu’on lui avait apportés, puis, y passant trois chaînes, elle les serra si étroitement autour de son corps que ses chairs tendres se boursouflant s’incrustèrent dans le dur métal »5. Soulignons qu’en portant des fers, Radegonde se ravale au rang d’esclave, symbole extrême d’humilité. Mais ce n’est pas tout: « De même une autre fois, elle donna l’ordre de fabriquer une lame de laiton en forme du monogramme du Christ. Cette lame rougie au feu dans sa cellule, elle se l’applique si profondément à deux endroits du corps que sa chair fut entièrement brûlée »6.

Le danger de tous ces exemples d’ascétisme extrême, érémitique avant tout7, est le repliement exagéré sur soi-même débouchant sur un individualisme étroit contradictoire avec l’esprit évangélique que les ascètes sont sensés imiter. Il fait encourir à ses adeptes le danger d’un amour-propre excessif, et il induit le désir de battre des records pouvant aboutir, comme en Orient, à des « concours d‘ascétisme » . L’ascèse n’étant pas un but mais un moyen, l’ascétisme extrême dévoie son sens originel.

Un autre principe: la regula mixta:

Le concept de regula mixta est ambigu. Plutôt que de l’utiliser pour désigner uniquement la règle bénédicto-colombanienne il serait plus pertinent de l’employer dans un sens plus large et moins précis: en effet, la plupart des fondations monastiques mérovingiennes sont régies par des associations diverses de coutumes inspirées de toute une gamme de règles écrites . Les abbés qui en sont les véritables aménageurs s’inspirent aussi du fonctionnement des monastères voisins. Chacun élabore donc une règle originale et singulière, pas toujours mise par écrit1 , ce qui accroît le caractère équivoque de la norme. Concernant la règle suivie par chaque communauté, le monolithisme doctrinal est donc un concept anachronique à l’époque mérovingienne. Le fondement même du monachisme gaulois repose avant tout sur la parole charismatique du père spirituel2 à ses disciples3. Au-delà de toute règle, c’est donc avant tout la parole de l’abbé qui constitue l’autorité prescriptive essentielle.

A l’intérieur de chaque région, les règles sont souvent proches en raison des grandes influences d’idées mutuelles corrélatives au fait que les fondateurs appartiennent aux mêmes réseaux familiaux, aux mêmes parentèles ou aux mêmes sphères aristocratiques. Ainsi, les fondations monastiques en Hainaut sont exclusivement pippinides. On peut citer en exemple l’abbaye de Maubeuge dont l’abbesse, Aldegonde, est en contact avec de nombreux religieux de la région: Amand, Ursmer, Subne de Nivelles mais aussi Waudru et Madelgaire. Les échanges d’idées favorisent donc l’inspiration mutuelle des règles monastiques au sein des régions géographiques soumises à une influence politique unique. L’influence bénédictine ne s’exerce pas encore uniformément au VIIe siècle sur le monachisme gaulois. Ainsi, comme à Nivelles, la succession abbatiale à Maubeuge n’est pas conforme au principe bénédictin de l’élection: c’est la nièce de la première abbesse qui lui succède. D’autre part, les règles ne sont jamais fixes et tombent parfois en désuétude comme à Notre Dame de Salles en Hainaut.

La regula mixta s’impose donc comme principe au sein des monastères gaulois, au nord comme au sud. Cependant, deux normes cénobitiques, s’affirment plus particulièrement, et ce de manière conjointe dans un premier temps:

la règle bénédictine1 et celle de Colomban2 se mêlent plus qu’elles ne se concurrencent, malgré le primat bénédictin, quasi constant. Ainsi à Corbie vers 700 l’abbé Erembert fait progressivement prévaloir la règle bénédictine sur l’observance des usages colombaniens. L’abbaye de Jumièges abandonne la règle colombanienne pour la règle bénédictine à partir du premier tiers du IXe siècle.

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15 avril 2006

citations intéressantes

"L'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté" Rousseau

"L'idéologie relativiste est un athéisme du jugement"

"C'est la marque d'un esprit cultivé qu'être capable de nourrir une pensée sans la cautionner pour autant." Aristote

"Le goût est fait de mille dégoûts" Paul Valéry

"Les esprits d'élite discutent des idées, les esprits moyens discutent des événements, les esprits médiocres discutent des personnes" Jules Romains

"Les grandes idées sont comme les jolies filles: elles peuvent aussi mal tourner" Bernanos

"Le secret d'ennuyer c'est de tout dire" Voltaire

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"Dans la nuit noire, sur une pierre noire, une fourmi noire. Dieu la voit" proverbe arabe

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